Je n'ai provisoirement pas de conte de Noël en tête. Un petit récit un peu gore (tiré d'un fait réel bien entendu ) en attendant.
En cette année où Jacques Anquetil gagnait son premier tour de France et où à la radio on expliquait que ce qu’on appelait alors « les évènements d’Algérie » allaient bientôt se terminer, le village de D… était en train de vivre un événement sans précédent.
En apparence, en cette période estivale, il ne se distinguait guère des autres bourgades dites de la France profonde. Toute la population était saisie d’une sorte de frénésie collective que des décennies plus tard on a quelque peine à imaginer : les foins. Dès l’aube et jusqu’à la nuit tombante, dans chaque famille, tous les hommes, femmes, enfants s’activaient , dégoulinant de sueur, pour faucher, faner et engranger ces herbes sèches si utiles pour nourrir le bétail l’hiver. Les quelques personnes dont l’activité se situait hors du domaine agricole se terraient ou du moins faisaient en sorte de passer inaperçues de peur de faire figure de déserteurs et désignés à la vindicte populaire par le terme infamant de « fainéants » l’injure suprême à l’époque .avec celui de « dépensière » dévolu à la gente féminine.
En ce début de juillet arriva dans le village une voiture immatriculée dans un autre département. On se renseigna : il s’agissait du Pas de Calais, donc à plusieurs centaines de kilomètres de là, des étrangers quoi. A priori, cela n’avait rien de péjoratif puisque ce terme étaient aussi utilisé pour définir les habitants du bourg d’à côté. On enquêta et on découvrit que la grosse Marguerite avait loué une partie de sa maison pour 3 semaines à des personnes en vacances.. Bien sûr on savait que depuis 1936 les congés payés existaient mais on pensait que les destinations de leurs bénéficiaires étaient plutôt la mer et la montagne…Il est vrai que la grosse Marguerite qui leur louait une partie de sa maison n’en était pas à une excentricité près : elle ne s’intéressait pas aux foins, les mauvaises langues disaient même qu’elle lisait des livres. Certains insinuaient que pendant la guerre elle aurait couché avec les allemands ; d’autres disaient que c’était avec les américains et il arrivait les soirs de beuverie que quelques horions soient échangés pour trancher ce débat d’idées..
Pendant quelques jours les touristes se promenèrent . Il y avait le père, la mère et deux petites filles de 8 à 10 ans…Les faneurs ne les appréciaient guère car leur oisiveté semblait les narguer. De plus les étrangers utilisaient un langage incompréhensible N’avaient ils pas demandés à la grosse Marguerite où se trouvaient les « waters » au lieu de dire les chiottes comme tout le monde. Au bout de quelques jours ils comprirent qu’ils n’étaient pas les bienvenus. Heureusement il y avait une large rivière aux eaux claires . Ils choisirent un endroit exempt d’autochtones en plein travail et se livrèrent aux joies de la pêche à la ligne, de la lecture, de la baignade. Le problème est que ces inconscients se rendaient à pied à la rivière, les parents en short et les fillettes juste vêtues d’un slip de bains. Et les mâles lorgnaient les cuisses de la dame et les garçons la poitrine naissante de l’aînée des petites. De toute manière , réquisitionnés pour les foins, il n’était pas question qu’ils aient le moindre contact avec elles..
Enfin les choses ne seraient tassées si Sœur Marie des Anges ne s’en était pas mêlée…Cette religieuse faisait le catéchisme des moyens c’est à dire ceux de 9-10 ans .Elle était tellement dissimulée sous ses voiles que personne n’avait jamais vu l’un de ses cheveux. On n’arrivait pas à lui donner un âge : 50, 70 ans, peut-être plus…En fait ses cours constituaient pour l’essentiel à mettre en garde les enfants contre le péché .Et pour les répertorier, elle avait une imagination débordante. Mais celui qui attirait ses foudres était sans conteste le péché de chair qu’elle appelait « impureté »sans d’ailleurs toujours bien expliquer en quoi il consistait. Les enfants avaient fini par croire qu’à côté de cette faute suprême, toutes les autres étaient vénielles.
Ce jour là, devant la gravité de la situation, elle prit la décision de bouleverser le programme prévu. Elle apparut partagée entre la colère et la peine. Aux enfants attentifs, elle parla de la dame qui montrait ses cuisses et dont le démon avait pris possession de l’âme. Aucune pitié pour cette engeance . Mais sa compassion allait aux petites filles qui risquaient de subir le même sort…Elle déclara une nouvelle foi que l’impureté était le péché qui était le plus puni dans l’au-delà et qu’elle entraînait pour conséquence la damnation éternelle à ceux qui s’y adonnaient.
Quelques garçons ricanèrent ce qui eut le don de l’énerver. : « Petits malheureux, je vous ai pourtant expliqué ce qu’est l’enfer, ces souffrances sans fin parmi les flammes. Mais il ne sera pas dit que notre seigneur Jésus Christ sera mort sur la croix pour rien. Je vais vous faire une démonstration »
Elle sortit dont on ne sait trop où d’une de ses poches une bougie et l’alluma. Puis mit son doigt dans la flamme. Elle le maintint sans faiblir jusqu’à ce que la douleur devenant insupportable elle poussa un hurlement et le retira. Devant l’assistance terrifiée elle montra son doigt noir et dit : « Vous voyez ce n’est qu’un doigt et cela a duré moins d’une minute Mais imaginez votre corps tout entier dans les flammes et cela pour l’éternité. Nous allons prier pour ces deux petites filles, même si je sens qu’au fond de moi-même il est déjà trop tard…Pour la mère c’est inutile, elle est déjà damnée.
Dans les jours qui suivirent les enfants regardèrent les deux fillettes avec des sentiments mêlés. Une vague attirance pour ce qui sentait le soufre, mais surtout une immense compassion pour le sort qui attendait ces malheureuses. Bien sûr il y avait quelques fier à bras pour dire que cela « c’était des conneries » mais au fond d’eux mêmes ils n’étaient pas très rassurés. Quelques eux ne se résignèrent pas et tentèrent de braver les destin. L’un d’entre eux se fit leur porte parole et profita de la sieste des parents pour aller parler à l’aînée des petites filles, lui demander de mettre au moins un vêtement sur son dos sur le chemin qui menait à la rivière...Mais il s’expliqua très mal ,les yeux bleus, la longue chevelure blonde, la promesse de poitrine le troublèrent…Elle ne comprit pas et éclata d’un rire sonore. Ce qui accrédita aux yeux de tous la conviction qu’elle était bien possédée par le démon.
Le 14 juillet on fit la fête pour célébrer la fin des foins. Et aussi un peu il faut le dire le départ des étrangers qui avait eu lieu la veille. Plus tard, les enfants apprirent par la grosse Marguerite les prénoms des deux petites filles. Ils étaient à cette époque peu usités ce qui d’une certaine manière fut une chance. Car bien que parvenus à l’âge adulte et donc ayant fait la part des choses, quelques uns d’entre eux, plus sensibles, ne purent s’empêcher à l’évocation de l’un de ces prénoms, d’avoir pendant un fugitif instant la vision d’une fillette en petite culotte hurlant au milieu des flammes.
Sujet: Vade retro satanas 
